Le prince Emmanuel de Croÿ exerce le poste de gouverneur de guerre de la province de Namur d'avril 1942 à septembre 1944. Il est issu de la noblesse belge traditionnelle mais ses conceptions autoritaires en font un tenant de l'Ordre nouveau et, dans une certaine mesure, de la politique collaborationniste de Rex. Après la Libération, son profil patriotique lui évite d'être condamné, mais il démissionne de l'armée belge où il occupait le poste de lieutenant.
Prélude
Emmanuel de Croÿ, prince de Croy et de Solre, né à Rumillies le 24 avril 1908, est issu de la branche belge d'une ancienne famille noble bourguignonne et habsbourgeoise. Il fait une carrière militaire et est lieutenant au premier régiment des guides avant la guerre. On dit qu'il sympathise avec le Verdinaso après le tournant 'belge' de Joris van Severen mais il reste toujours politiquement en retrait. Fait prisonnier pendant la campagne de dix-huit jours, il peut rentrer en Belgique le 29 novembre 1940. Cette libération anticipée est une "mesure de faveur" dont on ignore les raisons exactes. Une intervention de son influent entourage est plus que probable. Il demeure inactif durant les dix-huit mois qui suivent son retour en Belgique.
Gouverneur de guerre de Namur
De Croÿ est nommé gouverneur (ad interim) de la province de Namur le 1er avril 1942, en remplacement de Georges Devos. Les Allemands et le secrétaire général Gerard Romsée ne choisissent donc pas le chef provincial de Rex, Jean Georges, membre de la députation depuis mars 1941. Ce dernier aspire pourtant aussi au poste de gouverneur. Ce choix témoigne bien du pragmatisme stratégique selon lequel cette fonction de premier plan, au poids symbolique important, doit plutôt être confiée à un noble, membre de l'establishment belge de droite. De Croÿ maintient cependant de bons contacts avec Rex dont est membre son chef de cabinet, Emmanuel Noël.
Malgré ses bons rapports avec Rex, de Croÿ tente de limiter les nominations de rexistes aux postes de responsabilité. Il est aidé en cela par Noël, qui appartient à une 'tendance réaliste' de Rex et développe avec lui de bonnes relations. De Croÿ le défendra à son tour après la libération. Comme plusieurs autres gouverneurs wallons, de Croÿ est bien conscient de l'impact négatif de l'infiltration rexiste sur la légitimité de l'autorité publique. Il entre ainsi en conflit avec la majorité rexiste de la députation permanente où siègent, outre Jean Georges, Léon Lambert, chef rexiste de l'arrondissement de Vresse-sur-Semois, Albert Thiry (°1887), Samuel Lardinois (°1898), Jean Nicolas (°1901) et Jean Henri Joseph Permentier (°1917). Le rexiste Félix Devaux (°1884) joue également un rôle important au sein de la députation.
Dans la pratique, de Croÿ doit régulièrement accepter des candidats rexistes à des postes à responsabilité. Il reste en fonction jusqu'à la fin de l'occupation. Sa position devient encore plus délicate lorsque, François Bovesse, le gouverneur légitime d'avant-guerre est assassiné par des miliciens rexistes le 1er février 1944. De Croÿ exprime alors ouvertement son dégoût.
L'enquête judiciaire après la Libération
Après la Libération, la justice militaire ouvre une enquête sur de Croÿ. Sur base de l'article 118bis du code pénal punissant la collaboration politique, les principaux faits incriminés pour la période 1942 portent sur : son acceptation du poste de gouverneur, son soutien dans certains dossiers de candidature rexistes, une condamnation publique en 1942 des attentats commis par la résistance, ses contacts étroits avec la direction rexiste (Degrelle, Colin et Streel) et son soutien en 1942 à la création du Grand Namur. Pour ces faits, le procureur du conseil de guerre se montre indulgent : ce comportement n'était pas public et n'a donc pas ébranlé la loyauté des citoyens envers le souverain et la patrie, de plus ces faits n'ont pas été commis avec un esprit de 'malveillance'.
Pour la période 1943-1944 - autrement dit pour des faits commis après les modifications du code pénal de décembre 1942 - , les faits à charge suivants sont épinglés : une circulaire en date du 12 mars 1943 dans laquelle de Croÿ transmet des instructions allemandes visant à soutenir la défense anti-aérienne allemande, ainsi que ses contacts avec Rex pour la création d'une section de la Communauté culturelle wallonne à Namur. Ces deux faits sont jugés "hautement blâmables" sans pour autant constituer un motif d'inculpation. De manière générale, le fait que le gouverneur a accédé à de nombreuses demandes d'aide de la part des habitants et sa réputation de 'bon Belge' entrent également en ligne de compte. Sa démission de lieutenant de l'armée belge est perçue comme un geste symbolique significatif. L'enquête judiciaire se clôture par un 'non-lieu'.
Bibliographie
Nico WOUTERS, Oorlogsburgemeesters 40-44. Lokaal bestuur en collaboratie in België, Tielt, 2004.
Nico WOUTERS, De Führerstaat. Overheid en Collaboratie in België (1940-1944), Lannoo, Tielt, 2006.