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Collaboration en Flandre

Thème - Collaboration - Occupation

Auteur : De Wever Bruno (Institution : UGent)

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Le VNV : anti-démocratie et nationalisme flamand

La collaboration en Flandre est issue de deux sources antérieures à l'occupation allemande : l'anti-démocratie et le nationalisme flamand anti-belge, deux courants sociaux qui s'entrecroisent dans les années 1930 au sein du Vlaams Nationaal Verbond (VNV). Les dirigeants du VNV se considèrent comme les seuls représentants légitimes du peuple flamand qui doit s'émanciper de l'Etat belge pour se rattacher aux Pays-Bas. Ce programme thiois ne combat pas seulement l'Etat belge, mais aussi la société civile et démocratique en Flandre. Lors des élections législatives de 1939, le VNV remporte 15% des voix en Flandre, avec un peu moins de 200.000 voix. Le VNV compte alors environ 25 000 membres.

Staf De Clercq, le chef du VNV, joue un rôle important dans la marche de son parti vers la collaboration. Dès avant la guerre, il noue des pourparlers secrets avec l'Abwehr, entre autres, et met sur pied la Militaire Organisatie (MO) composée de membres du VNV au sein de l'armée belge, prêts à saboter la défense belge sur ses ordres. Bien que cette instance ne soit pas entrée en action, De Clercq l'en vante dès les premiers mois de l'occupation lors de ses entretiens en coulisses avec l'administration militaire d'occupation (MV) et lors de sa première apparition publique en novembre 1940, lorsqu’il annonce la collaboration inconditionnelle de la VNV.

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Droits d'auteur : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Staf de Clerq, leader du VNV, prononce un discours à Louvain (Leuven), 04/03/1937.

Partenaire privilégié de l'occupant

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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : Droits Réservés
Légende d'origine : Staf De Clercq, s.d.


Inspiré par l'ordre donné par Hitler en juillet 1940 de favoriser les Flamands – des Germains - au détriment des Wallons – des Romans – l’Administration militaire voit dans le VNV un partenaire idéal pour maintenir la paix et l'ordre, dès lors que les dirigeants du parti sont prêts à reconnaître que tout le pouvoir est entre les mains d'Adolf Hitler et que l’on ne peut provisoirement pas toucher aux frontières existantes. Le projet d’Etat thiois (Dietsland) est donc mis en veilleuse. Lorsque la direction de la VNV n'accepte pas immédiatement ceci, l’Administration militaire fait échouer en août 1940 une première tentative du VNV de s’arroger le monopole politique en Flandre par le biais de ce qu’il qualifie de « mouvement populaire » (Volksbeweging). Après que De Clercq ait cédé et exprimé sa confiance inconditionnelle en Hitler en novembre 1940, la VNV bénéficie du soutien total de l’Administration militaire. Elle contraint ce qui subsiste du Verbond van Dietse Nationaal Solidaristen (Verdinaso), le mouvement fasciste de Joris Van Severen, tué en France lors des journées de mai 1940, à rejoindre ce qui, à partir de mai 1941, est appelé le Mouvement unitaire (Eenheidsbeweging) - VNV. Rex-Vlaanderen, la branche flamande du mouvement de Léon Degrelle, subit le même sort. Le VNV considère la Wallonie comme un espace vital flamand et menace les Wallons de souche - non pas les Flamands immigrés en Wallonie - d'être déportés en France. Ces projets ont également été mis au frigo lorsque Degrelle est devenu le chef de la collaboration wallonne et a réussi à faire reconnaître, en 1943, les Wallons comme des Germains francisés.

L’administration militaire a également forcé l'entrée du VNV dans les structures de pouvoir belges. Des milliers de membres du VNV occupent des postes dans des administrations belges, du plus haut au plus bas niveau. En 1943, par exemple, la moitié des communes flamandes sont dirigées par un bourgmestre VNV. Cette prise de pouvoir permet au VNV d'attirer des membres de la droite catholique flamande. Le parti compte environ 50 000 membres à son apogée en 1942. Grâce à cette prise de pouvoir, le VNV a contribué à gouverner l'État qu'il voulait détruire et a été l'un des principaux responsables de politique impopulaire menée dans le cadre de l'occupation. Ce n'est pas le seul paradoxe.

Au service de la guerre de l’Allemagne sans garanties politiques

L’Administration militaire n'a pas de mandat politique, ce qui signifie qu'elle n'est pas autorisée à prendre des décisions concernant l'avenir politique de la Belgique. Comme le VNV a lié son destin à la volonté et donc à la décision d'Hitler, il n'a d'autre choix que d'attendre et d'insister sur une déclaration claire en faveur d'un État flamand.

Pour convaincre le pouvoir berlinois, la VNV s'engage dans les objectifs de guerre de l’Allemagne sur ce que l’on appelle le front intérieur. Cette politique est menée à l’aide de formations paramilitaires et policières telles que la Vlaamse Wacht, la Fabriekswacht/Vlaamse Wachtbrigade et la Hilfsfeldgendarmerie, déployées en tant que troupes auxiliaires de l'occupant et, sur le front de l'Est, avec la Vlaamse Legioen et la Waffen-SS, pour lesquelles le recrutement avait déjà commencé au printemps 1941, donc avant même le déclenchement de la guerre contre l'Union Soviétique. Le recrutement a également commencé pour l'Organisation Todt et le Nationalsozialistisches Kraftfahrkorps. Les membres du VNV sont poussés à s'engager dans l'une ou l'autre de ces organisations car leur engagement apparaît comme l'expression de la volonté de puissance de la VNV et donc, dans la logique nationale-socialiste, vitale à la sécurisation de l'Etat flamand.

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Institution : KBR
Droits d'auteur : KBR
Légende d'origine : Article rendant hommage à la Vlaams Legioen, accompagné d’un article en honneur de Tollenaere, récemment tué au front. Volk en Staat, 14/02/1942, p. 3.
 

La concurrence pan-allemande





Le VNV est menacé par un mouvement collaborationniste qui le combat avec un projet nationaliste allemand, en d’autres termes ce que l’on qualifie de retour de la Flandre à l'Empire germanique allemand. Il s'agit d'abord de l’Algemene SS-Vlaanderen, puis, à partir de 1942, de la Duits-Vlaamse Arbeidsgemeenschap (DeVlag), sous la direction de Jef Van de Wiele, inconnu jusqu'alors. Le mouvement gagne rapidement en puissance et en influence, car son objectif correspond à l'impérialisme des dirigeants nationaux-socialistes. Il soutient l'occupant sans réserve, même dans les domaines où le VNV est généralement plus réservé, comme la traque des Juifs et des réfractaires au travail. Le mouvement est patronné par la SS, l'organisation de Heinrich Himmler, l'une des personnalités les plus puissantes d'Allemagne. De ce fait, l’Administration militaire est incapable de protéger le VNV contre cet adversaire. Sur papier, la DeVlag dépasse le VNV en termes de nombre de membres en 1943. Mais de nombreux membres sont enrôlés de force, par exemple parce qu'ils travaillent dans des entreprises allemandes.

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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Appel à des ouvriers Belges pour l'Organisation Todt par DeVlag, 1943.

Lutte entre les partis de la collaboration

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Institution : CegeSoma
Collection : Sipho
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Jef Van de Wiele (Chef de la DeVlag). [20/1/1942] [Frei gegeben durch zensur]

Les deux projets nationalistes de la collaboration flamande ne tardent pas à se heurter. Le VNV se définit comme un barrage contre la germanisation et comme un défenseur des intérêts flamands. Cela crée une grande confusion dans les esprits. En effet, la défense des intérêts flamands consiste de fait en une offre de service à l'occupant et donc, en d'autres termes, en un zèle encore plus grand à détruire la société civile flamande et à exploiter les Flamands au bénéfice des objectifs de guerre allemande, y compris ses propres disciples qui ont payé le prix fort sur les divers fronts allemands aux côtés des disciples de leurs concurrents nationalistes allemands dans la collaboration. Cela provoque un mécontentement dans les rangs du VNV et l'émergence de groupes dissidents qui vont l’accuser de trahir ses idéaux thiois et céder trop largement au bénéfice de ses adversaires partisans de la Grande Allemagne. C’est surtout Hendrik Elias, qui succède à De Clercq après la mort de ce dernier en octobre 1942 comme chef du VNV, qui est lourdement confronté à ces tensions. Il fait monter les tensions en faisant adhérer à la DeVlag d'abord la direction, puis les membres du VNV et en faisant cesser le recrutement pour la Waffen-SS dès lors qu'il s'avère que des membres de la VNV y sont endoctrinés par l'idéologie pan-germanique. Mais il n'a, à aucun moment, essayé d'arrêter la collaboration du VNV, y compris sa collaboration militaire, qu'il a étendue en recrutant pour la Kriegsmarine allemande.

Pourtant, le VNV a perdu le contrôle qu'il exerçait encore initialement sur la Vlaamse Wacht et la Vlaamse Wachtbrigade. Celles-ci deviennent des composantes régulières de la Wehrmacht. La puissance militaire du VNV est donc purement illusoire et l'hypothèse formulée par Elias selon laquelle, après le retrait des troupes allemandes, le VNV combattrait aux côtés de la résistance de droite pro Léopold III contre la résistance de gauche communiste doit plutôt être considérée comme un vœu pieux né des tentatives d'après-guerre d'expliquer la collaboration soutenue du VNV. Il s’agit là d’une illusion, d'autant plus que le VNV est en guerre contre la société civile en Flandre. Plusieurs centaines de militants ou de sympathisants présumés ont été tués par la résistance. A la veille de la libération, le VNV, et son allié/ennemi nationaliste allemand, sont devenus une petite minorité haïe et assiégée, tenue pour responsable de toute la misère de la guerre. De nombreux membres du VNV ont alors quitté le navire en perdition. Le parti ne compte plus que quelque 10 000 membres.


A l’été 1944 et avec la libération en vue, le VNV fait l'expérience de la faillite totale de sa collaboration. Hitler décide d'annexer la Flandre à l'Allemagne en tant que Reichsgau du Reich et le VNV est politiquement mis à l'écart. Le leader de la DeVlag, Jef Van de Wiele, prend la tête du Vlaamse Landsleiding. Il célèbre sa victoire à la Pyrrhus en enrôlant massivement les collaborateurs exilés en septembre 1944 dans l'effort de guerre allemand. Une nouvelle division flamande de la Waffen-SS est ainsi créée à la fin de l'année 1944. Lorsque la VNV refuse de coopérer avec elle, Elias, le chef du VNV, est placé en garde à vue par les SS.

Une diversité de motifs

La lutte politique entre les partis de la collaboration ne joue aucun rôle dans la politique de répression d'après-guerre. De nombreux collaborateurs tant dans la sphère militaire que policière ont collaboré pour des raisons personnelles plutôt que politiques. La collaboration du VNV a permis de faire en sorte que la collaboration soit un phénomène plus large en Flandre qu'en Belgique francophone. Le parti incarne le nationalisme flamand avec ses ramifications dans le mouvement flamand et est donc plus ancré dans la société flamande catholique de droite que Rex ne l'est en Belgique francophone.

Les recherches sur la collaboration en Flandre se sont fortement concentrées sur les aspects politiques et militaires de la collaboration, sur les différentes organisations de collaboration et sur les biographies des collaborateurs d’avant-plan. La perspective du collaborateur individuel n'a encore été que très partiellement explorée et nécessite des recherches plus approfondies. Les recherches sur les motivations des collaborateurs flamands basées sur les casiers judiciaires d'après-guerre montrent que 40 % d'entre eux ont collaboré uniquement pour des raisons idéologiques. Dans 60 % des cas, les motifs personnels jouent un rôle, mais environ la moitié de ce groupe est également motivé par des raisons idéologiques, de sorte que la part de la collaboration motivée par des raisons idéologiques s'élève à près de 70 %. Parmi les motifs personnels, l'argent prédomine. Les collaborateurs à la recherche d'un travail et d'un revenu sont principalement issus des classes sociales inférieures, mais plus de trois quarts des collaborateurs motivés par l'idéologie sont également issus des classes sociales inférieures. Une grande majorité des collaborateurs flamands croient au national-socialisme et vouent une admiration à Hitler. Les motifs tels que le nationalisme flamand, l'anticommunisme et l'antisémitisme sont plus importants dans le discours de la presse collaborationniste et des collaborateurs d’avant-plan que dans celui des simples collaborateurs.

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Institution : CegeSoma
Collection : Belgapress
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Inauguration du centre flamand de formation de l'Organisation Todt à Bruxelles. Les soldats prêtant serment au Führer. (17/6/1942).

Bibliographie

Cheyns, Bruno, Rex ter zege. Léon Degrelle en Rex in Vlaanderen 1935-1945, Antwerpen: Ertsberg, 2024.

De Wever, Bruno. Greep naar de macht: Vlaams-nationalisme en Nieuwe Orde: Het VNV, 1933-1945. Tielt - Gent: Lannoo - Perspectief, 1994.

De Wever, Bruno. Collaboratie. In Encyclopedie van de Vlaamse beweging, 2025 https://encyclopedievlaamsebeweging.be/nl/collaboratie

Müller, Jakob Die importierte Nation. Deutschland und die Entstehung des flämischen Nationalismus 1914 bis 1945, Göttingen: Vandenhoeck & Ruprecht, 2020.

Sax, Aline. Voor Vlaanderen, volk en Führer. De motivatie en het wereldbeeld van Vlaamse collaborateurs tijdens de Tweede Wereldoorlog, 1940-1945, Antwerpen: Manteau, 2012.

Seberechts, Frank, Geschiedenis van de DeVlag. Van cultuurbeweging tot politieke partij 1935-1945, Perspectief-Uitgaven: Gent, 1991.

 
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